Économie des marges en pharmacie : comment les génériques dictent les profits

novembre 24, 2025 Loïc Grégoire 6 Commentaires
Économie des marges en pharmacie : comment les génériques dictent les profits

En 2025, une pharmacie sur trois aux États-Unis ferme ses portes. Pourquoi ? Pas à cause d’un manque de clients, mais parce que les génériques - les médicaments les moins chers - ne rapportent plus assez. C’est un paradoxe : les génériques représentent 90 % des ordonnances remplies, mais seulement 25 % des dépenses totales. Pourtant, ils génèrent 96 % des marges des pharmacies. Ce n’est pas une erreur. C’est le système.

Le paradoxe des génériques

Les médicaments de marque coûtent cher. Très cher. Un traitement pour le cholestérol peut coûter 300 $ par mois. Mais il ne représente que 10 % des ordonnances délivrées. Les génériques, eux, coûtent 2 $, 5 $, parfois 10 $. Et pourtant, c’est sur eux que les pharmacies comptent pour survivre. Pourquoi ? Parce que la marge brute sur un générique est de 42,7 %, contre seulement 3,5 % sur un médicament de marque. Cela signifie que pour chaque 100 $ dépensés sur un générique, la pharmacie garde 42 $ avant même de payer ses employés, son loyer ou ses factures. Sur un médicament de marque, elle garde 3 $.

Le problème ? Ces 42 $ ne sont pas tous les vôtres. Une grande partie disparaît dans les mécanismes obscurs des gestionnaires de prestations pharmaceutiques (PBMs). Ces entreprises négocient les prix avec les fabricants, fixent les remboursements aux pharmacies, et gardent la différence - ce qu’on appelle le « spread pricing ». Une pharmacie indépendante peut être remboursée 8 $ pour un générique qui coûte 5 $ au fabricant. Le PBM facture ensuite l’assurance 15 $, et garde les 7 $ de différence. La pharmacie, elle, ne voit que les 8 $. Et parfois, elle doit même rendre de l’argent après coup : c’est le « clawback ». Une pratique légale, mais qui étrangle les petites pharmacies.

Qui gagne vraiment dans la chaîne ?

Regardez où va l’argent. Sur 100 $ dépensés pour un générique :

  • 18 $ : coût de production du fabricant
  • 10 $ : transport et logistique (grossistes)
  • 32 $ : marge brute de la pharmacie
  • 35 $ : profits des PBMs et autres intermédiaires

Les fabricants de génériques ne font pas fortune. Leur marge brute est de 49,8 %, mais leur marge nette tombe à 18,2 %. Pourquoi ? Parce qu’ils sont coincés entre la concurrence féroce et la pression des PBMs. Il y a dix ans, 20 fabricants vendaient un seul générique. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un. Et quand il n’y a plus de concurrence, les prix montent. En 2024, certains génériques coûtaient plus cher que leur équivalent de marque - parce que personne d’autre ne les produisait.

Les grandes chaînes de pharmacies (CVS, Walgreens) ont survécu parce qu’elles possèdent leurs propres PBMs. Elles contrôlent la chaîne entière : fabrication, distribution, remboursement. Les petites pharmacies, elles, sont coincées. Elles ne peuvent pas négocier. Elles ne peuvent pas se permettre de refuser un médicament remboursé. Elles sont obligées de vendre à perte, dans l’espoir que le volume compensera.

Un paysage financier imaginaire où des sacs d'argent géants flottent, les petites pharmacies sont minuscules, une pharmacie transparente brille au loin.

Les canaux qui changent tout

Les pharmacies en ligne et les pharmacies par correspondance (mail-order) ne jouent pas les mêmes règles. Pour un générique, une pharmacie en ligne peut faire jusqu’à 1 000 fois plus de marge que la pharmacie du coin. Comment ? Parce qu’elles négocient en volume, que les patients ne voient pas les prix, et que les PBMs leur accordent des conditions exorbitantes. Un patient qui achète son générique sur Amazon ou CVS.com paie 5 $, mais la pharmacie derrière le site garde 4 $ de marge. La pharmacie du quartier, elle, doit payer 3 $ de frais de traitement, 2 $ de loyer, 1 $ de salaire. Elle finit par ne rien gagner.

Et puis il y a les pharmacies spécialisées. Elles vendent des traitements pour le cancer, la sclérose en plaques, la mucoviscidose. Ces médicaments coûtent 10 000 $ par mois. Leur marge est plus faible en pourcentage, mais en valeur absolue, elles rapportent 10 fois plus qu’une pharmacie traditionnelle. C’est pourquoi les grandes chaînes investissent massivement dans ce segment. C’est aussi la seule voie de survie pour les petites pharmacies qui veulent rester en activité.

La chute des pharmacies indépendantes

Entre 2018 et 2023, 3 000 pharmacies indépendantes ont fermé aux États-Unis. En 2025, elles ne représentent plus que 40 % du nombre total de pharmacies, mais seulement 11 % des ordonnances remplies. Pourquoi ? Parce que leur marge nette sur les génériques est tombée à 2 %. Cinq ans plus tôt, elle était de 8 %. Le loyer a augmenté de 35 %. Les salaires aussi. Les coûts informatiques, les normes de sécurité, les audits des PBMs - tout coûte plus cher. Et les remboursements ? Ils baissent. Chaque année.

Un pharmacien de l’Ohio a dit en 2023 : « Je passe 20 heures par semaine à contester les remboursements. Je n’ai plus le temps de voir mes patients. » C’est devenu une routine : remplir des formulaires, appeler les PBMs, attendre des réponses qui ne viennent jamais. Leur outil le plus précieux ? Le « Rebuttal Academy » de la NCPA, une formation qui apprend aux pharmaciens à combattre les décisions de remboursement injustes. Plus de 8 500 pharmaciens l’ont suivie. C’est un combat de chaque jour.

Un pharmacien aide un patient avec une bouteille de médicament 'Cash Pay', derrière eux des ficelles de PBM se brisent, une plante pousse sur le rebord.

Les solutions émergentes

Certains ont trouvé un autre chemin. Mark Cuban a lancé Cost Plus Drug Company. Pas de PBMs. Pas de marges cachées. Vous payez le prix de revient du médicament + 3 $ de frais de distribution. Un générique de 2 $ coûte 5 $ au client. Pas 15 $. Pas 20 $. Et ça marche. Plus d’un million d’ordonnances traitées chaque mois. Amazon a suivi : ses génériques coûtent 5 $, et le prix est clairement affiché. Pas de mystère.

D’autres pharmacies ont choisi le modèle « cash pay » : pas d’assurance. Pas de PBM. Le patient paie directement. Pour certains médicaments, c’est plus cher que le remboursement. Pour d’autres, c’est moins cher. Et la pharmacie garde tout. Cette méthode augmente la marge nette de 3 à 5 %, selon les études de Pharmaceutical Executive.

Les États commencent aussi à réagir. La Californie, le Texas, l’Illinois ont adopté des lois obligeant les PBMs à révéler leurs marges. L’État de Washington a découvert que certaines pharmacies en ligne faisaient 35 fois plus de marge sur les médicaments de marque que les pharmacies locales. Ces découvertes ont conduit à des enquêtes fédérales. La FTC enquête sur les PBMs depuis 2023. Et en 2026, la loi sur la réduction de l’inflation permettra au gouvernement de négocier les prix de certains médicaments de marque. Ce qui pourrait réduire la pression sur les génériques… ou les rendre encore plus importants.

Le futur : entre consolidation et rupture

Si rien ne change, 20 à 25 % des pharmacies indépendantes disparaîtront d’ici 2027. Les grandes chaînes absorberont les dernières. Les PBMs contrôleront encore plus. Mais les nouvelles entreprises - transparentes, directes, sans intermédiaires - montrent qu’un autre modèle est possible.

La vraie question n’est pas « comment gagner plus sur les génériques ? » mais « comment reprendre le contrôle de la chaîne ? » Les pharmaciens ne sont plus des distributeurs. Ils sont des soignants. Et leur survie dépend de leur capacité à se réinventer - ou à être effacés.

Pourquoi les génériques rapportent-ils plus que les médicaments de marque aux pharmacies ?

Les génériques coûtent peu à produire, mais les pharmacies les vendent avec une marge en pourcentage élevée. Un médicament de marque peut coûter 300 $, mais la marge brute de la pharmacie n’est que de 3,5 %. Un générique à 5 $ peut rapporter 42,7 % de marge brute - soit 2,14 $ contre 10,5 $ sur le médicament de marque. Le volume compense : 90 % des ordonnances sont des génériques. Donc, même avec une marge unitaire plus faible en valeur absolue, le total généré est bien plus élevé.

Qu’est-ce qu’un PBM et comment il réduit les marges des pharmacies ?

Un PBM (Gestionnaire de prestations pharmaceutiques) agit comme intermédiaire entre les assureurs et les pharmacies. Il négocie les prix avec les fabricants, puis fixe le montant remboursé à la pharmacie. Il facture ensuite l’assureur un prix plus élevé, et garde la différence : c’est le « spread pricing ». Il peut aussi imposer des « clawbacks » : si la pharmacie est remboursée trop, elle doit rendre de l’argent après coup. Ces pratiques réduisent la marge nette des pharmacies à moins de 2 %, même sur des génériques.

Pourquoi certains génériques coûtent-ils plus cher que les médicaments de marque ?

Quand il n’y a plus qu’un seul fabricant d’un générique (souvent après que les autres ont arrêté de produire faute de profit), la concurrence disparaît. Le fabricant peut alors augmenter les prix. En 2024, des études ont montré que certains génériques - comme des traitements pour l’épilepsie ou l’hypertension - coûtaient plus cher que leur équivalent de marque, simplement parce qu’aucun autre producteur ne les fabriquait plus.

Les pharmacies indépendantes ont-elles encore un avenir ?

Oui, mais seulement si elles changent de modèle. Elles doivent se tourner vers les services : gestion de la thérapie médicamenteuse, vaccinations, suivi des patients chroniques. Certaines adoptent le modèle « cash pay » ou collaborent avec des fournisseurs transparents comme Cost Plus Drug Company. Sans ces changements, la plupart disparaîtront. Les grandes chaînes et les pharmacies en ligne ont les ressources pour négocier. Les petites, elles, doivent innover ou disparaître.

Quelle est la marge nette réelle d’une pharmacie sur un générique ?

La marge brute peut atteindre 40-45 %, mais après les frais (loyer, salaires, logiciels, taxes, remboursements des PBMs), la marge nette est souvent de 1 à 2 %. Pour une ordonnance de 10 $, la pharmacie gagne à peine 10 à 20 cents. C’est pourquoi les pharmacies doivent vendre des milliers d’ordonnances pour survivre - et pourquoi les PBMs, eux, gagnent des millions sur ces mêmes transactions.


Loïc Grégoire

Loïc Grégoire

Je suis pharmacien spécialisé en développement pharmaceutique. J'aime approfondir mes connaissances sur les traitements innovants et partager mes découvertes à travers l'écriture. Je crois fermement en l'importance de la vulgarisation scientifique pour le public, particulièrement sur la santé et les médicaments. Mon expérience en laboratoire me pousse à explorer aussi les compléments alimentaires.


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6 Commentaires


Marcel Albsmeier

Marcel Albsmeier

novembre 24, 2025

les pbms c’est juste des voleurs en costard qui font du chantage avec des feuilles de calcul et des contrats en 47 pages. j’ai vu un pharmacien pleurer dans un parking parce qu’il devait rendre 120€ sur une ordonnance de 3€. c’est pas de l’économie, c’est du harcèlement légalisé.

Christianne Lauber

Christianne Lauber

novembre 25, 2025

vous savez qui controle vraiment tout ? les banques. les pbms sont juste des marionnettes. les mêmes qui possèdent les assurances, les laboratoires, les chaînes de pharmacies. tout est lié. c’est un système de contrôle social. ils veulent que vous soyez dépendant. et si vous refusez ? ben vous mourrez. c’est écrit dans les rapports de l’OMS, mais ils cachent ça.

Melting'Potes Melting'Potes

Melting'Potes Melting'Potes

novembre 25, 2025

la marge brute de 42,7 % sur les génériques est une illusion statistique. la marge nette après clawbacks, frais de conformité, coûts informatiques et pression réglementaire est de -1,3 % en moyenne selon l’analyse de la Fédération des Pharmaciens Indépendants (FPI) 2024. les grandes chaînes externalisent les coûts opérationnels vers les franchisés. c’est un modèle de précarisation systémique. il n’y a pas de solution sans rupture de la chaîne de valeur.

Alain Millot

Alain Millot

novembre 26, 2025

Il est regrettable que l’analyse proposée néglige l’impact structurel de la régulation fiscale sur les petites entités pharmaceutiques. La déduction des charges déductibles, la dépréciation des équipements et la fiscalité des marges brutes ne sont pas pris en compte dans les chiffres cités. Une analyse rigoureuse exigerait une modélisation comptable à trois niveaux, intégrant les flux de trésorerie différés et les clauses de révision contractuelle des PBMs. Sans cela, toute conclusion est fondamentalement erronée.

Christophe Farangse

Christophe Farangse

novembre 28, 2025

comment les gens font pour vivre avec ça ? je vais chez mon pharmacien il me dit que le médicament coûte 5€ mais lui il reçoit 2€ et il doit rendre 1€ à la fin du mois. il travaille 12h par jour. c’est pas normal. pourquoi personne fait rien ?

Marcel Schreutelkamp

Marcel Schreutelkamp

novembre 28, 2025

en france on a un truc fou : les pharmacies de quartier sont des lieux de vie. pas des boutiques de médicaments. mon voisin, pharmacien depuis 40 ans, connaît le nom de tous ses patients, leur chien, leur petit-enfant, leur maladie chronique. il fait des visites à domicile. il donne des conseils gratuits. les PBMs ? il les appelle "les bureaucrates du pire". et il a raison. on a perdu l’essentiel : la relation humaine. les grandes chaînes vendent des pilules, pas de la confiance.


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