Beaucoup pensent qu’un produit dit « naturel » est forcément sûr. C’est une erreur dangereuse. Les compléments alimentaires et les médicaments peuvent causer des effets secondaires graves, voire mortels, surtout quand on les combine sans savoir ce qu’on fait. En France, comme aux États-Unis, les gens prennent des vitamines, des herbes ou des minéraux sans en parler à leur médecin - et c’est là que le risque explose.
Les compléments ne sont pas des bonbons
Contrairement aux médicaments sur ordonnance, les compléments alimentaires ne doivent pas prouver leur efficacité avant d’être vendus. En France, comme aux États-Unis, ils sont classés comme des aliments, pas comme des médicaments. Cela veut dire qu’un fabricant peut mettre en vente une gélule contenant de l’extraits de ginseng, de l’huile de poisson ou du curcuma sans avoir à montrer qu’elle est sûre ni même qu’elle fonctionne. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) reçoit chaque année des centaines de signalements d’effets indésirables liés à ces produits, mais la plupart restent invisibles : seulement 1 à 2 % des réactions graves sont rapportées officiellement.
Le problème ? Ces produits contiennent des substances actives. L’épilobe, par exemple, peut augmenter la pression artérielle. Le bitter orange - souvent présent dans les brûle-graisse - provoque des palpitations et des arythmies. Le thé vert en gélules a causé des lésions hépatiques chez des centaines de personnes, selon le réseau DILIN. Et pourtant, les gens les prennent comme des vitamines, sans se demander si elles interagissent avec leur traitement.
Les interactions mortelles : quand les suppléments attaquent vos médicaments
La plupart des urgences liées aux compléments viennent d’interactions avec des médicaments. Voici quelques cas réels et documentés :
- Le millepertuis (St. John’s wort), très populaire pour la dépression, réduit de 50 à 60 % la concentration de la ciclosporine (utilisée après une greffe) et de 13 à 15 % celle des pilules contraceptives. Résultat : rejet de greffe ou grossesse non voulue.
- Le gingko biloba, pris pour la mémoire, augmente le risque de saignement quand on prend de la warfarine ou de l’aspirine. Une femme de 68 ans a été hospitalisée en urgence en 2022 après avoir pris les deux ensemble.
- Le vitamine K, souvent dans les multivitamines, rend la warfarine inefficace - ce qui peut provoquer un caillot sanguin mortel. Une baisse de 40 à 50 % de l’effet anticoagulant a été mesurée chez les patients qui en prennent.
- Les antioxydants comme la vitamine C et E peuvent réduire l’efficacité de la chimiothérapie de 25 à 30 %, selon l’American Cancer Society. Un patient en traitement pour un cancer du sein a dû arrêter sa radiothérapie pendant trois semaines après avoir pris de la vitamine E : sa peau a brûlé comme sous un coup de soleil intense.
Les interactions ne sont pas rares. Elles sont systématiques. Un patient sur trois qui prend un complément ne le dit pas à son médecin. Et pourtant, 67 % des interactions graves surviennent précisément parce que le patient n’a pas parlé de ce qu’il prenait.
Les doses qui tuent : quand le « plus » devient dangereux
On croit que plus c’est fort, mieux c’est. C’est faux - et parfois fatal.
- Plus de 10 000 UI de vitamine A par jour pendant plusieurs mois provoquent une toxicité chronique : peau qui pèle, foie endommagé, pression dans le crâne, perte de vision. Une dose unique de 300 000 UI peut tuer.
- La vitamine D en doses élevées (plus de 300 000 UI par mois) augmente le risque de chute et de fracture chez les personnes âgées de 15 à 20 %. Pourquoi ? Parce qu’elle fait monter le calcium dans le sang jusqu’à des niveaux toxiques, ce qui peut provoquer des convulsions ou un coma.
- Plus de 400 UI de vitamine E par jour augmente le risque d’hémorragie cérébrale de 10 %. C’est un effet direct, prouvé par l’Australian Prescriber.
- Le zinc en excès - souvent dans les compléments pour le système immunitaire - peut causer des nausées, des vomissements, et à long terme, une déficience en cuivre, ce qui endommage les nerfs et le système immunitaire.
Il n’y a pas de « dose sûre » universelle. Ce qui est inoffensif pour un jeune en bonne santé peut être un poison pour une personne âgée sous traitement. Et les compléments ne portent jamais d’étiquette claire sur les risques.
Qui est vraiment en danger ?
Les groupes les plus vulnérables ne sont pas toujours ceux qu’on imagine.
- Les personnes âgées : elles prennent souvent 5 à 10 médicaments différents, et ajoutent des compléments « pour la santé ». Le risque d’interaction devient exponentiel.
- Les cancéreux : 40 % des suppléments courants interfèrent avec les traitements. L’American Cancer Society recommande de tout arrêter pendant la chimiothérapie, sauf si le médecin l’autorise explicitement.
- Les patients cardiaques : les suppléments comme l’ail, le poisson, ou le ginseng augmentent le risque de saignement avec les anticoagulants.
- Les femmes enceintes : certaines herbes comme le fenouil ou la sauge peuvent provoquer des contractions utérines. D’autres, comme le curcuma en forte dose, augmentent le risque de saignement.
Et pourtant, 50 % des adultes en France et aux États-Unis prennent des compléments - et seulement 1 sur 3 en parle à son médecin. Ce silence est la principale cause des accidents.
Comment se protéger ? 4 règles simples
Vous n’avez pas besoin d’abandonner les compléments. Mais vous devez les traiter comme des médicaments.
- Parlez-en à votre médecin ou pharmacien - chaque fois que vous commencez un nouveau produit, même une gélule de vitamine D. Apportez la boîte ou la liste des ingrédients.
- Ne prenez jamais deux suppléments ensemble sans vérification. Même les produits « doux » comme la mélatonine ou l’ashwagandha peuvent provoquer des palpitations ou une hypertension si combinés à un traitement pour le cœur.
- Évitez les compléments achetés en ligne. 45 % des cas d’effets indésirables viennent de produits non contrôlés, souvent contaminés ou avec des doses inconnues. Un complément vendu sur Amazon peut contenir du sildenafil (le principe actif du Viagra) sans que ce soit indiqué.
- Utilisez un carnet de suivi. L’Office des suppléments diététiques des NIH propose un modèle gratuit à imprimer ou à remplir sur téléphone. Notez chaque produit, la dose, la date de début, et le motif. Montrez-le à chaque consultation.
Que faire en cas d’effet indésirable ?
Si vous ressentez :
- Des palpitations ou un rythme cardiaque irrégulier
- Une peau qui brûle, des cloques ou une rougeur soudaine
- Des saignements inhabituels (gencives, nez, urine)
- Une fatigue extrême, des vomissements, une urine foncée
Arrêtez immédiatement le complément. Consultez un médecin. Et signalez l’événement à l’ANSM via le site Signalement de réactions indésirables. En 2022, l’ANSM a reçu plus de 1 200 signalements liés aux compléments - mais ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Le futur : un système qui ne protège pas assez
Depuis 1994, la réglementation européenne et américaine a été conçue pour favoriser l’accès, pas la sécurité. Seuls 12 ingrédients ont été interdits aux États-Unis depuis cette date. En France, la liste des substances interdites est plus courte encore. Les fabricants ne doivent pas informer les autorités avant de lancer un nouveau produit. Il faut attendre qu’un patient soit hospitalisé pour que quelqu’un s’en rende compte.
Des pistes d’amélioration existent : une base de données nationale des interactions, une étiquetage obligatoire des risques, et surtout, une obligation de déclarer les nouveaux ingrédients avant leur vente. L’ANSM travaille sur un système d’alerte précoce basé sur les réseaux sociaux - comme aux États-Unis, où une IA a détecté 87 % des signaux d’alerte sur les forums de santé.
Le problème n’est pas les suppléments. Le problème, c’est qu’on les considère comme inoffensifs. Ce n’est pas vrai. Ils sont des médicaments - sans contrôle. Et dans ce contexte, la seule protection, c’est l’information.
Les compléments alimentaires sont-ils dangereux même si je suis en bonne santé ?
Oui. Même en bonne santé, certains compléments peuvent causer des problèmes. Par exemple, une dose élevée de vitamine D peut augmenter le risque de chute chez les personnes de plus de 65 ans. Le gingko biloba peut provoquer des saignements pendant une chirurgie. Et certains extraits d’herbes peuvent endommager le foie sans symptômes au début. La santé n’est pas une exemption aux interactions.
Puis-je prendre des vitamines avec mes médicaments ?
Certaines oui, d’autres non. La vitamine B12 ou le calcium sont généralement sûrs. Mais la vitamine K interfère avec la warfarine. La vitamine E augmente le risque de saignement avec l’aspirine. La niacine peut augmenter la glycémie chez les diabétiques. Il n’y a pas de règle générale : chaque combinaison doit être vérifiée individuellement avec votre médecin ou pharmacien.
Les compléments bio ou naturels sont-ils plus sûrs ?
Non. Le mot « naturel » ne signifie pas « sans risque ». Le ricin, l’arsenic et le venin de serpent sont naturels - et mortels. Les plantes contiennent des composés chimiques puissants. Le millepertuis est une plante, mais il réduit l’efficacité de la pilule contraceptive. Le curcuma est naturel, mais en forte dose, il peut provoquer des saignements. La source ne change pas l’effet biologique.
Pourquoi les pharmacies vendent-elles des compléments s’ils sont dangereux ?
Parce que la loi les autorise. En France, comme dans la plupart des pays, les compléments sont classés comme des aliments, pas comme des médicaments. Cela signifie qu’ils peuvent être vendus sans autorisation préalable de mise sur le marché. La pharmacie ne vérifie pas leur sécurité ni leur interaction avec vos traitements. C’est à vous de demander. Ne laissez pas l’emplacement du produit (en rayon pharmacie) vous tromper sur son niveau de risque.
Quels sont les compléments les plus risqués à éviter ?
Les plus à risque sont : le millepertuis (interactions avec 50+ médicaments), le bitter orange (risque cardiaque), le gingko biloba (saignement), la vitamine A en haute dose (toxicité hépatique), le thé vert concentré (lésions du foie), et les compléments pour la perte de poids contenant des substances cachées comme la caféine ou des amphétamines. Évitez aussi les produits qui promettent des résultats « miraculeux » - c’est souvent un signe de contamination ou de surdosage.
Anissa Bevens
novembre 15, 2025Je travaille en pharmacie depuis 15 ans et je vois tous les jours des patients qui prennent 7 compléments différents sans rien dire à personne. Le pire ? Ils sont convaincus que c’est « naturel » donc inoffensif. La vitamine D à 10 000 UI/jour, le millepertuis avec un anticoagulant, le gingko avec de l’aspirine… C’est un jeu de roulette russe. Et quand ça foire, ils viennent en urgence en se demandant pourquoi.
La solution ? Parler. Toujours. Avec le médecin. Avec le pharmacien. Avec son entourage. La santé ne se joue pas en cachette.