Vous vous sentez étourdi après avoir pris votre médicament ? Ce n’est pas dans votre tête. Près d’une personne sur cinq dans le monde adulte connaît ce sentiment de déséquilibre, de tête vide ou de rotation du monde autour d’elle. Et dans un tiers des cas, la cause est directement liée à un médicament que vous prenez. Ce n’est pas une coïncidence. C’est une réaction physiologique bien documentée, souvent ignorée jusqu’à ce qu’elle devienne dangereuse.
Comment un médicament peut vous faire tourner la tête
Les vertiges et les étourdissements ne viennent pas d’un seul endroit. Ils naissent quand un médicament perturbe l’un des trois systèmes qui gardent votre corps équilibré : l’oreille interne, votre pression artérielle, ou votre cerveau.
L’oreille interne contient des capteurs microscopiques qui détectent les mouvements. Certains antibiotiques comme la gentamicine les détruisent de façon permanente. Chez 17 à 40 % des patients qui en prennent longtemps, cela cause une perte d’équilibre irréversible. Même les chimiothérapies comme le cisplatine touchent 45 à 65 % des patients, souvent sans qu’on le remarque avant qu’il ne soit trop tard.
Autre cause fréquente : la pression artérielle. Les médicaments pour la tension, comme les diurétiques (furosémide) ou les bêta-bloquants (propranolol), font chuter la pression trop vite, surtout quand vous vous levez. Résultat : votre cerveau ne reçoit pas assez de sang pendant quelques secondes. Vous vous sentez faible, voire sur le point de vous évanouir. C’est ce qu’on appelle l’hypotension orthostatique. Elle touche jusqu’à 22 % des patients prenant des diurétiques.
Enfin, les médicaments qui agissent sur le cerveau - comme les antidépresseurs (fluoxétine, sertraline) ou les anticonvulsivants (carbamazépine, pregabaline) - modifient les signaux chimiques. Le cerveau reçoit des informations contradictoires : vos yeux disent que vous êtes stable, vos oreilles disent le contraire. Votre cerveau, perdu, vous fait sentir que vous êtes en train de tourner. C’est une illusion, mais elle est très réelle pour vous.
Quels médicaments sont les plus à risque ?
Tous les médicaments ne créent pas le même risque. Certains sont bien plus dangereux que d’autres, surtout pour les personnes âgées.
- Anticonvulsivants : La carbamazépine cause des étourdissements chez près de 30 % des patients. La pregabaline, 26 %. Ce sont les plus problématiques en termes de fréquence.
- Antidépresseurs : Les tricycliques (amitriptyline, nortriptyline) provoquent des étourdissements chez plus de 28 % des utilisateurs. Même les SSRIs, souvent considérés comme plus doux, touchent 20 à 25 % des patients au début du traitement.
- Antihypertenseurs : Les diurétiques (furosémide : 22 %), les bêta-bloquants (propranolol : 20 %), et les inhibiteurs de l’ACE (lisinopril : 14 %) sont en tête de liste pour les chutes chez les seniors.
- Antibiotiques ototoxiques : La gentamicine est la plus connue, mais même les macrolides comme l’érythromycine peuvent causer des vertiges chez 9 % des patients.
- Antihistaminiques de première génération : Comme la diphenhydramine (Benadryl®), ils agissent comme des sédatifs et augmentent le risque de chute de 42 % chez les plus de 65 ans.
- Proton pump inhibitors : Omeprazole et lansoprazole ne causent que 5 % d’étourdissements, mais comme ils sont pris par des millions de personnes, ils représentent 3,2 % de tous les cas d’urgence liés aux médicaments.
Le problème ? Beaucoup de ces médicaments sont prescrits ensemble. Si vous prenez cinq médicaments ou plus - ce qu’on appelle la polypharmacie - votre risque d’étourdissement triple. C’est une bombe à retardement, surtout après 65 ans.
Pourquoi les personnes âgées sont plus vulnérables
À 70 ans, votre corps ne réagit plus comme à 30. Vos récepteurs vestibulaires s’usent. Vos vaisseaux sanguins perdent en élasticité. Votre foie et vos reins filtrent moins bien les médicaments. Et votre cerveau met plus de temps à réajuster l’équilibre.
Le résultat ? Un simple changement de position peut vous faire chuter. Selon les données du CDC en 2023, un tiers des personnes de plus de 65 ans font au moins une chute par an. Et dans un cas sur trois, un médicament est en cause. C’est pourquoi l’American Geriatrics Society a publié sa liste des médicaments à éviter chez les seniors - les Beers Criteria. Elle inclut 17 substances, dont les benzodiazépines (qui augmentent le risque de chute de 50 %), les antihistaminiques, et les relaxants musculaires.
La pire partie ? Ces médicaments sont souvent prescrits pour des problèmes légers : l’insomnie, l’anxiété, les brûlures d’estomac. Et on les oublie. On ne les revoit pas. On ne les réévalue pas.
Que faire si vous vous sentez étourdi ?
Ne paniquez pas. Mais ne l’ignorez pas non plus.
Commencez par tenir un journal. Notez : quand vous vous sentez étourdi, combien de temps après avoir pris votre médicament, à quelle position vous étiez (debout, couché, en marchant), et combien de temps ça a duré. 68 % des cas d’étourdissement médicamenteux suivent un schéma précis. Votre médecin peut le voir.
Ensuite, ne vous arrêtez pas de prendre vos médicaments sans avis médical. Arrêter brusquement un anticonvulsivant ou un bêta-bloquant peut provoquer des crises, une hypertension dangereuse, ou même une crise cardiaque. L’étourdissement est désagréable - mais l’arrêt brutal est souvent pire.
Le traitement idéal ? Trois étapes :
- Évaluer la cause : Votre médecin peut utiliser l’échelle de Naranjo pour déterminer si c’est bien votre médicament. Un score de 9 ou plus signifie que c’est presque certain.
- Changer ou ajuster : Parfois, un simple changement de dose suffit. Parfois, il faut remplacer le médicament par un autre avec moins d’effets sur l’équilibre. Par exemple, un inhibiteur de l’ACE peut être remplacé par un bloqueur des canaux calciques, qui cause moins d’étourdissements.
- Renforcer votre équilibre : La réhabilitation vestibulaire est la solution la plus efficace. Elle consiste en des exercices simples, guidés par un physiothérapeute spécialisé. 70 à 80 % des patients voient une amélioration significative après 6 à 8 séances. Des études récentes montrent même que des applications de réalité virtuelle peuvent atteindre 82 % d’efficacité.
En parallèle, adoptez des gestes simples : montez les escaliers lentement, utilisez une canne si nécessaire, portez des chaussons antidérapants, installez des barres d’appui dans la salle de bain. Ces gestes réduisent les chutes de 45 % chez les personnes souffrant d’hypotension orthostatique.
Quel avenir pour les étourdissements médicamenteux ?
La médecine commence à comprendre que tout le monde n’est pas égal face aux médicaments. Certains ont un gène qui les rend plus sensibles aux effets sur l’équilibre. Une étude de 2023 a identifié 17 variants génétiques liés à la sensibilité aux antihypertenseurs.
Le projet All of Us du NIH recueille maintenant des données sur un million de personnes pour prédire qui va réagir mal à quels médicaments. Dans 5 à 10 ans, il sera possible de faire un test génétique avant de prescrire un traitement, et d’éviter les étourdissements avant même qu’ils ne commencent.
En attendant, les autorités sanitaires agissent. La FDA a imposé des avertissements noirs sur les antibiotiques ototoxiques. L’Agence européenne des médicaments recommande maintenant un suivi auditif pour les patients sous cisplatine. Et en novembre 2024, la liste des médicaments à éviter chez les seniors va s’allonger : les inhibiteurs SGLT2, utilisés pour le diabète, viennent d’être identifiés comme responsables d’étourdissements chez 9,3 % des patients.
Ne sous-estimez pas ce symptôme
Un étourdissement n’est pas une simple gêne. C’est un signal d’alarme. Il dit : "Votre corps ne gère pas bien ce que vous lui donnez."
Il ne faut pas attendre de tomber pour agir. Si vous ressentez ce symptôme après avoir commencé un nouveau médicament, parlez-en à votre médecin. Apportez votre liste de médicaments. Posez la question : "Est-ce que celui-ci peut me faire perdre l’équilibre ?"
La plupart du temps, la solution est simple : un ajustement, un changement, un exercice. Pas une nouvelle pilule. Pas une hospitalisation. Juste une conversation bien menée.
Parce que vivre sans étourdissement, c’est aussi vivre sans peur. Et c’est ce que tout le monde mérite - même si on prend des médicaments pour rester en vie.
Guillaume Geneste
décembre 3, 2025Je viens de lire ça en entier… et je dois dire que c’est une bombe à retardement qu’on ignore depuis des décennies. J’ai ma mère de 78 ans qui prend 7 médicaments, et elle se prend les pieds dans le tapis depuis 6 mois. On a cru que c’était le vieillissement… Non. C’était la furosémide + la sertraline + la carbamazépine. On a changé deux trucs, et là, elle marche comme une jeune fille. Merci pour cet article. C’est du vécu, pas de la théorie.
PS : J’ai même fait un tableau Excel avec les doses et les heures. Mon médecin a été choqué. Il n’avait jamais vu ça. 😅