
Un souffle court pendant une réunion, une toux persistante qui dérange les collègues, l’angoisse d’être jugé inapte… Voilà le quotidien invisible de nombreux travailleurs touchés par la BPCO, la bronchopneumopathie chronique obstructive. Peu de gens savent que cette maladie frappe aussi les jeunes actifs et pas seulement les seniors. Pourtant, c’est la troisième cause de décès dans le monde selon l’OMS, juste derrière les maladies cardiaques et les AVC. Au boulot, la BPCO ne se limite pas à l’essoufflement lors d’aller-retour à la photocopieuse : elle peut saboter une carrière, grignoter l’autonomie et fragiliser la confiance en soi. Qui ose en parler ouvertement à son RH ou à ses collègues ? On craint l’exclusion, la honte, ou pire, le licenciement. Pourtant, bosser avec une BPCO, c’est aussi une affaire d’organisation, de droits à faire valoir, de solutions d’adaptation astucieuses et, parfois, de solidarités insoupçonnées.
Comment la BPCO transforme la vie professionnelle au quotidien
La BPCO chamboule tout au travail : rythme, énergie, relations. La fatigue chronique, ce n’est pas juste un vague coup de barre, c’est la sensation de grimper l’Himalaya pour accomplir une simple tâche. Le souffle court s’impose à chaque effort, rendant impossible tout travail physique soutenu : finies les journées entières debout, les déplacements fréquents ou le port de charges. Même les employés de bureau en font les frais, car le cerveau doit composer avec un organisme en manque d’oxygène. Et puis il y a la toux, persistante, parfois bruyante, qui attire les regards et pousse à l’isolement.
Selon la cohorte Constances, analyse menée en France depuis 2012, 60 % des travailleurs atteints de BPCO moderate à sévère déclarent un impact important sur leurs capacités à assumer leur poste. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer : beaucoup masquent leurs difficultés, refusant d’en parler, de peur d’être stigmatisés ou discriminés. Les arrêts maladie se multiplient, avec un risque accru de désinsertion professionnelle. Selon la Fédération Française de Pneumologie, la BPCO multiplie par trois le risque de perte d’emploi après 50 ans et double le taux d’absentéisme pour raison médicale par rapport à une population saine du même âge.
Pour certains métiers, notamment ceux du bâtiment, du transport, du soin à la personne ou de la restauration, la maladie oblige carrément à réorienter sa carrière. Beaucoup évoquent la peur quotidienne de l’aggravation : « On n’ose plus prendre d’initiatives, on redoute le prochain coup de fatigue… Et on cache notre situation. » Ce témoignage, partagé par Marc, 46 ans, ancien ouvrier devenu surveillant en collège, résume le malaise :
« La BPCO, on n’en parle pas. Ce n’est pas un accident visible, c’est comme un frein silencieux sur tous les aspects du boulot. »Alors, qui accompagne ces salariés ? Peu de RH sont formés, et les aménagements pratiques restent rarissimes.
Obstacles et discriminations : les murs invisibles de l’entreprise
La stigmatisation guette souvent les travailleurs souffrant de BPCO. Pourquoi ? Parce que la maladie reste largement méconnue et associée, souvent à tort, à de « mauvaises habitudes » comme le tabac. Cette stigmatisation pousse beaucoup de malades à cacher leurs symptômes, quitte à aggraver leur situation. Le manque d’information en entreprise n’arrange rien : peu de managers savent vraiment ce que signifie vivre avec cette maladie chronique.
Du coup, impossible de réclamer une pause supplémentaire sans passer pour un tire-au-flanc. Difficultés respiratoires sur le terrain ? Le chef râle. Animations de groupe ou réunions interminables créent un stress supplémentaire, car devoir demander à sortir discrètement pour reprendre son souffle n’est pas évident. Selon une enquête menée par la Fondation du Souffle en 2024, 38 % des actifs atteints de BPCO ont déjà ressenti un sentiment de discrimination au travail, allant du simple regard en coin jusqu’au refus d’évolution ou de promotion.
Le cadre légal prévoit pourtant une certaine protection. En France, le Code du Travail impose aux employeurs d’assurer la sécurité et la santé de leurs employés, y compris les personnes atteintes de maladies chroniques. Une reconnaissance en maladie professionnelle est aussi possible, notamment quand l’exposition à des poussières ou des produits toxiques en entreprise est avérée (comme dans le secteur du bâtiment ou les industries métallurgiques). Mais la réalité montre un fossé entre droit et pratique. Les procédures sont souvent complexes et la démarche, angoissante. Beaucoup laissent tomber. Pourtant, la BPCO fait partie des affections pouvant ouvrir droit à la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), facilitant l’accès aux adaptations nécessaires ou à certains dispositifs de maintien en emploi. La vérité, c’est que la demande de RQTH reste minoritaire, faute d’information et par peur d’être « mis à l’écart ».

Aménagements et conseils pratiques pour continuer à travailler
Bonne nouvelle : travailler en ayant une BPCO reste possible dans de nombreux cas, à condition d’adapter le poste et l’environnement. Cela commence souvent par des modifications toutes simples : un bureau situé près d’une fenêtre bien ventilée, un accès facilité aux sanitaires, la possibilité de fractionner les pauses dans la journée, ou encore de limiter la manipulation de produits irritants. Pour certains, le télétravail partiel ou total change la vie. L’employeur y a tout intérêt car, selon l’Assurance Maladie, chaque euro investi dans l’adaptation au handicap rapporte en moyenne quatre euros économisés sur les absences et les arrêts de travail !
Il existe aussi des dispositifs publics et privés pour accompagner salariés et employeurs. L’intervention du médecin du travail s’avère décisive. Cet expert peut proposer des aménagements, appuyer une demande de reconnaissance RQTH, organiser la reprise après un arrêt long ou recommander un reclassement vers un poste compatible avec les capacités du salarié. Quelques outils concrets pour le quotidien :
- Investir dans du matériel léger et ergonomique pour limiter la fatigue.
- Utiliser une application de rappel pour les prises de médicaments ou les exercices de respiration.
- Éviter les réunions prolongées sans possibilité de pause.
- Gérer son stress par la relaxation ou la sophrologie : respirer c’est vital, et ça s’apprend.
- Briefer les collègues de confiance pour retrouver du soutien et aménager le travail en équipe.
Côté employeur, mieux former les managers à la gestion des maladies chroniques change tout. Même une entreprise qui n’a pas de politique handicap formelle peut instaurer de petites astuces qui rendent la vie plus facile pour tout le monde. D’ailleurs, rien n’interdit de demander une adaptation, même sans RQTH. Oser discuter franchement avec le RH ou la médecine du travail fait parfois des miracles. Et pour les plus avancés dans la maladie, un projet de reconversion peut s’imposer : les plateformes Cap emploi accompagnent chaque année des centaines de personnes concernées.
Chiffre clé | BPCO et emploi |
---|---|
3,5 millions | de personnes touchées en France |
60 % | déclarent une gêne professionnelle majeure |
38 % | se sentent discriminées au travail |
x2 | taux d’absentéisme par rapport à une population saine |
+4 €/€ | gagnés grâce à chaque euro investi dans l’adaptation |
Prévention, droits et avenir : comment reprendre le pouvoir
Parce qu’on ne choisit pas d’avoir une BPCO, mais qu’on peut agir pour ne pas la subir au travail, s’informer, anticiper et connaître ses droits est capital. Prévenir, c’est repérer dès le début les situations à risque… et savoir dire stop si l’environnement empire l’état de santé. Exemples : aérer régulièrement les locaux, lui préférer les lieux moins pollués, privilégier les tâches qui réduisent l’exposition aux poussières, aux gaz ou aux produits chimiques. La prévention va aussi de pair avec la sensibilisation des équipes : plus vos collègues comprennent ce qu’est la BPCO, moins vous vous sentirez isolé ou jugé. En 2023, la Fondation du Souffle a lancé une campagne de formation gratuite dans plusieurs entreprises françaises et le nombre de demande de RQTH a bondi de 27 % en six mois.
Côté droits, c’est le moment d’oser poser toutes les questions : quelles démarches pour la RQTH, comment bénéficier d’un temps partiel thérapeutique ou d’un poste aménagé ? L’Assurance Maladie, la médecine du travail et les organismes spécialisés (MDPH, Cap emploi) peuvent appuyer concrètement ces démarches. Et si vous subissez une discrimination liée à la santé, la loi vous protège ; il existe des recours auprès du Défenseur des droits.
Ne croyez pas que la BPCO condamne à l’inaction ou au chômage forcé. Beaucoup réussissent à tourner la situation à leur avantage : reconversion, engagement associatif, télétravail créatif… D’ailleurs, certaines entreprises pionnières, comme la SNCF ou EDF, expérimentent depuis 2024 des dispositifs de mentorat et de formation interne pour salariés atteints de maladies respiratoires chroniques. Ces initiatives devraient inspirer tous les milieux professionnels.
La BPCO touche avant tout à la liberté de respirer, mais aussi à celle de continuer à contribuer, à apprendre, à travailler à un rythme personnalisé. Les employeurs qui comprennent ce défi deviennent bien plus attractifs et fidèles à leurs équipes. Alors, face à une maladie si fréquente mais si peu visible, la meilleure arme reste encore l’information, l’audace du dialogue et la solidarité. « Savoir reconnaître la souffrance tout en valorisant l’investissement du salarié, c’est la clé pour un emploi durable et respectueux », résume le Dr Catherine Nocent, pneumologue à Paris.